Politique

Togo : Me Jean Yaovi DEGLI revient sur le contexte historique de l’adoption de la Constitution de 1992

Adoptée depuis le lundi 25 mars 2024 par les députés à l’Assemblée nationale, la loi portant révision constitutionnelle qui n’est pas encore promulgué continue par animer les débats. Dans une démarche pédagogique, la Plateforme de la société civile pour la bonne gouvernance et la transparence démocratique (PSC-BGTD) a organisé le mardi 09 avril à Lomé, une conférence-débat qui a regroupé des juristes, politistes, des acteurs de la société civile, des chefs traditionnels, des jeunes et autres couches socio-professionnelles pour mener des réflexions instructives et constructives autour du sujet. Me Jean Yaovi DEGLI, Avocat, Président du mouvement « Bâtir le Togo », est l’un des panélistes de cette Table ronde placée sous le thème « constitution : une loi fondamentale immuable ou adaptable a l’évolution socio-culturelle et politique de la société ». Dans sa présentation, Me DEGLI est revenu sur le contexte historique de l’adoption de la Constitution de 1992. Retour sur la présentation du Président du mouvement « Bâtir le Togo »,…

CONTEXTE HISTORIQUE DE L’ADOPTION DE LA CONSTITUTION DE 1992

Présenté par Maître Jean Yaovi DEGLI, Avocat, Président du mouvement « Bâtir le Togo », à la Table Ronde organisée par Plateforme de la société civile pour la bonne gouvernance et la transparence démocratique (PSC-BGTD)? Le mardi 9 avril 2024 sur le thème « constitution : une loi fondamentale immuable ou adaptable a l’évolution socio-culturelle et politique de la société ».

Le 14 septembre 1992, après plusieurs années de dictature et de régime de parti unique (1980-1991) le Togo va passer dans la quatrième république avec l’adoption le 24 septembre 1992 par référendum avec plus de 90 % de voix pour d’une constitution démocratique qui sera promulguée le 14 octobre 1992.

Dans quel contexte historique, social et politique cette constitution a- t-elle été adoptée (I) et quelles en sont les grandes lignes (II) ?

I- UN CONTEXTE DE DICTATURE CONTESTEE

Entre la période où il est devenu indépendant et les années 90 où le monde connaîtra les bouleversements ayant abouti à l’adoption de la Constitution de 1992, le Togo a subi une évolution qui peut être structurée en deux ou trois temps forts : de l’indépendance à l’avènement des militaires sur la scène politique (A) ; de l’avènement d’Eyadema au pouvoir aux revendications politiques du début des années 90 (B) et des bouleversements socio-politiques de 1990-1991 (C).

A- De l’Autonomie à l’Assassinat de Sylvanus Olympio

En 1956, année au cours de laquelle sa partie occidentale sous administration britannique sera rattachée à la Gold Coast après un référendum organisé sous l’égide des Nations Unies le 9 mai, le Togo accède à l’autonomie interne le 10 août 1956 dans le cadre de la loi Gaston DEFFERRE du 23 juin 1956. A l’époque, la Métropole, c’est- à-dire la France vivait sous la 4ème république avec un régime parlementaire. Aux élections législatives de la même année après lesquelles l’Assemblée Territoriale Togolaise se transformera le 1er septembre en Assemblée Nationale, le Parti Togolais du Progrès (P.T.P.) et l’Union des Chefs et Populations du Nord (U.C.P.N.) l’emportèrent. Nicolas Grunitzky devint le même mois Premier Ministre de la République.

Alors que ces deux partis dont la fusion donnera dès 1958 l’Union Démocratique du Peuple Togolais (U.D.P.T.) étaient donnés favoris pour les élections de 1958 qui devaient décider en même temps de la levée de l’autonomie, c’est le Comité de l’Unité Togolaise (C.U.T.) et ses alliés qui l’emportèrent. Sylvanus Olympio devint alors Premier Ministre, rôle qu’il assumera pendant les deux années qui ont précédé l’indépendance du Togo le 27 avril 1960.

Mais l’euphorie créée par la victoire du C.U.T dès 1958, la forte personnalité Président de la République et l’autoritarisme politique ambiant avec l’institution dès 1961 d’un monopartisme de fait et les violences politiques 3 qui ont émaillé la vie politique des lendemains de l’indépendance tant souhaitée et surtout les conflits entre le père de l’indépendance et la France ont rapidement conduit au renversement le 13 janvier 1963 de Sylvanus Olympio par un groupe de militaires démobilisés instrumentalisé par l’ancienne puissance tutélaire. Sylvanus Olympio trouvera la mort au cours de ce coup de force.

S’en suivra alors une période de flottement politique d’environ 4 ans avec le tandem Nicolas Grunitzky et Antoine Méatchi dans les rôles de président et vice-président de la République, cafouillage savamment orchestré et exploité par les militaires à travers les manifestations de contestations de novembre 1966 pour reprendre le pouvoir en Avril 1967.

Etienne Eyadema qui devenu plus tard Gnassingbé Eyadema deviendra alors l’homme fort, le président de la République dans le cadre d’un régime militaire.

B- Le Règne d’Eyadema

L’avènement du président Eyadema se fera après le coup de force d’avril 1967 marqué par la démission sous pression de Nicolas Grunitzky et l’intermède Kléber DADJO.

De 1967, c’est donc Eyadema qui, à travers une dictature militaire, va gouverner pratiquement seul avec des décisions très personnelles et l’absence de tout cadre légal et réglementaire déterminés.

Puis en 1969, le 30 août notamment, Eyadema décide de mettre en place un parti qui est le Rassemblement du Peuple Togolais (RPT), parti unique. Cette situation sera constitutionnalisée après le Congrès de Kara en 1979 et le RPT deviendra parti unique/parti Etat à travers la Constitution de 1980 qui a légalisé cette situation. C’était alors la troisième République.

De 1967 à 1989, le régime Eyadema qui est marqué par de graves dérives (politiques, violations des droits, corruption, tribalisme, culte de la médiocrité, absence de redevabilité des gouvernants, patrimonialisation de l’Etat, pillage des ressources, chômage, injustices diverses, etc.) va avoir une vie tranquille malgré les difficultés de plus en plus grandes à assurer des fins du mois aux fonctionnaires, les problèmes sociaux, etc.

En effet, l’Occident ayant décidé après les indépendances que l’Afrique ne peut se développer que dans des Etats forts, la dictature étant de mise. Dans un monde marqué par la situation de guerre froide entre le bloc soviétique et le bloc occidental, ces Etats autoritaires servaient également pour chaque bloc pour endiguer l’autre. Du côté du bloc occidental, en dehors du fait de fermer les yeux sur les dérives politiques, les violations des droits humains et la confiscation des libertés, on essayait de régler les problèmes socio-économiques créés de toute pièce par la gestion peu orthodoxe de potentats au pouvoir et le pillage des ressources de nos pays par ces occidentaux eux-mêmes par la mise sous perfusion avec une prétendue aide ou assistance économique de nos pays.

Vers la fin des années 80 et surtout à partir de la chute du mur de Berlin en novembre 1989, l’Occident ne trouvant plus nécessaire d’endiguer le communisme a décidé de lâcher du lest en ce qui concerne sa protection des dictatures surtout en Afrique.

C- Des Revendications Socio Politiques du début des années 90 à la Conférence Nationale

Avec la chute du mur de Berlin et la fin de la guerre froide, une fièvre de liberté s’est emparée du monde. Ce vent de liberté qui a soufflé très fort en Afrique avait obligé le Président Mathieu Kérékou du Bénin dès 1989 à accepter la Conférence Nationale qui était devenue une alternative aux renversements des régimes politiques par coup d’État qui était la donne par le passé.

Ce vent qui a soufflé sur presque tous les pays de l’Afrique sub-saharienne a atteint le Togo aussi.

Les diverses tentatives du régime Eyadema de s’opposer à l’avènement de la démocratie et des libertés au Togo qui sont passées par les subterfuges, la répression des manifestations, les assassinats, les arrestations et autres intimidations n’auront pas prospéré.

Création d’associations et autres organisations, grèves, manifestations de rues, distributions de tracts, publications d’articles de presse alliées à des pressions diverses aussi bien nationales qu’internationales (Discours de la Baule) vont progressivement amener le général Eyadema à accepter une évolution vers un régime de démocratie multipartite dont les contours seront décidés dans le cadre d’une la Conférence Nationale.

Cette Conférence Nationale qui va se dérouler du 16 juillet au 28 août 1991 va décider, dans le cadre de différentes commissions dont la commission constitutionnelle et institutionnelle, du cadre constitutionnel qui va désormais présider à la vie et la gouvernance de notre pays pour les années à venir et ce, après une transition politique dont la durée (1 an) et les contours ont été déterminés avec exactitude par l’Acte N°7 de la Conférence Nationale.

Mais s’il y avait alors de force ou de gré les principales Libertés, le multipartisme avec plusieurs partis politiques, il subsistait toujours des violations des droits de l’homme, assassinats et exécutions sommaires. Quelque part, il régnait même une sorte de terreur politique.

II- LES GRANDES LIGNES DE LA CONSTITUTION DE 1992

Dans le cadre du processus d’adoption de la nouvelle constitution et du passage à la quatrième république, comme cela se passe dans tout pays, il a fallu tenir compte du passé, de l’expérience vécue, des réalités nationales pour décider de quel régime adopter et des contours de la nouvelle constitution.

La rédaction et d’adoption de la nouvelle Constitution ont été faites par le biais d’une commission inclusive (RPT-Opposition-Société Civile-Gouvernement) qui a abouti à un résultat incontestable. Les différents arbitrages ont été faits et le texte était un texte consensuel que le général Eyadema, dans son discours à la nation du 25 septembre 1992, a appelé le peuple Togolais à aller adopter dans le cadre du référendum du 27 septembre 1992. Le peuple l’a alors adopté par plus de 90% des voix. Ce fut un raz-de marée.

Puisque les violations des droits de l’homme et la confiscation de toutes liberté ont été les maux dont les Togolais avaient le plus souffert avant les années 90 et la Conférence Nationale lorsqu’un seul d’entre eux a confisqué la légitimité du peuple, c’est de toute évidence aux problèmes des droits de l’homme Constitution de 1992 a consacré une très large frange de ses articles après avoir défini l’État et ses attributs. Le titre portant sur les droits et devoirs des citoyens contient à lui seul 40 articles (de l’article 10 à 50, dont 32 des articles pour les droits et libertés et 8 pour les devoirs) avec.

Il y avait au total 17 titres qui sont les suivants : Titre I : de L’État et de la Souveraineté ; Titre II : Des Droits, Libertés et Devoirs des Citoyens ; Titre III : Du pouvoir Législatif ; Titre IV : Du Pouvoir Exécutif ; Titre V : Des Rapports entre le Gouvernement et l’Assemblée Nationale ; Titre VI : La Cour Constitutionnelle ; Titre VII : La Cour de Comptes ; Titre VIII : Le Pouvoir Judiciaire ; Titre IX : De La Haute Autorité de L’Audiovisuel et de la Communication ; Titre X : Du Conseil Économique et Social : Tire XI : Des Traités et Accords ; Titre XII : Des collectivités territoriales et de la Chefferie Traditionnelle ; Titre XIII : De la Révision ; Titre XIV : Dispositions Spéciales ; Titre XV : Des Dispositions Transitoires ; Titre Spécial : De la Commission Nationale des Droits de l’Homme ; Titre XVI : Des Dispositions Finales.

Ces différents titres peuvent être classés en différentes rubriques qui sont :

1- De l’État et des Citoyens qui regrouperait les Titre I, II et XI)

2- Des Différents Pouvoirs et leurs Relations avec les Titres III ; IV, V et VIII).

3- Des institutions qui regrouperait les Titres VI, VII, IX, X, XII et le Titre Spécial sur la Commission Nationale des Droits de l’Homme) ;

4- Des dispositions diverses avec les Titres XIII, XIV, XV et XVI).

En Conclusion, disons qu’il est donc clair que cette Constitution de 1992 dont le régime a été proposé par la Conférence Nationale, qui a été rédigée par une commission (constituante) regroupant tous les bords politiques, qui a fait l’objet d’arbitrages ayant intégré tous les desiderata du général Eyadema et de son camp avant d’être adoptée par référendum n’est nullement une constitution de revanche comme ont souvent tenté de le faire croire certaines personnes dont nous ne savons pas sur quelle disposition de ladite constitution ou sur quelle situation de sa rédaction et de son adoption elles se fondent pour faire de telles affirmations.

Cette constitution n’a pas été adoptée ex nihilo, ni sur un coup de tête, ni pour régler des comptes à qui que ce soit.

Le régime semi présidentiel qui y a été inscrit a été choisi parmi plusieurs propositions faites au cours de la Conférence Nationale dont celle portant sur le régime parlementaire qui avait été faites par l’Association pour la Promotion de l’État de Droit présidée par Maître Djovi GALLY et le parti UTD de l’ancien premier ministre Edem KODJO.

Dans sa rédaction, elle a fait l’objet d’un équilibre assez mesuré entre les divers organes et institutions qui devaient l’animer et les différents arbitrages ont tenu compte des desiderata du président de la République d’alors qui a personnellement appelé les Togolais le vendredi 25 septembre 1992 à aller massivement l’approuver au référendum.

L’adoption de la constitution de 1992 a donc été le fruit de mûres réflexions sur ce qui, éventuellement peut répondre le mieux à la gouvernance de notre pays, compte étant fortement tenu de son passé et en ayant en vue son avenir.

Malheureusement, comme nous le disons souvent, elle n’a pas été appliquée.

Comme nous l’avons dit et répété, le problème de notre pays n’est pas celui d’un régime ou d’une constitution. Un régime et/ou une constitution ne construisent pas des ponts, ne donnent pas de l’eau, ne règlent pas le problème du chômage, ne procurent pas le bien-être aux citoyens et le développement à un pays. Peu importe le régime adopté ou la constitution choisie, même si elle est descendue du ciel comme le décalogue (les dix commandements) dans la Bible sur le Mont Sinaï, elle ne donnera rien de concret si les hommes qui doivent la mettre en œuvre n’ont pas une vision du bien-être et de la bonne gouvernance mais s’inscrivent plutôt dans une gouvernance pour soi, pour leur famille, leur clan politique, une élite au pouvoir, de même que l’injustice, l’absence de reddition de compte, la patrimonialisation de l’État et d’autres maux de ce genre.

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