Le 1ᵉʳ décembre 1944, sur le sol sénégalais, l’armée française se retourna contre les tirailleurs sénégalais, dans un acte de violence qui reste gravé comme l’un des épisodes les plus sombres de l’histoire coloniale. Ces hommes, revenus d’Europe après avoir combattu pour la liberté et l’honneur d’une France meurtrie par la guerre, ne réclamaient que leur dû. Le paiement de leur solde. Pourtant, leur revendication légitime fut accueillie par des balles.
Que ressent-on en imaginant ces soldats, brisés par la guerre, se heurter à l’injustice ? Ces hommes, souvent arrachés à leur terre natale pour une guerre qui n’était pas la leur, espéraient au moins la reconnaissance. À Thiaroye, cette reconnaissance s’est transformée en trahison sanglante. Officiellement, 35 morts furent recensés, mais de nombreux témoignages suggèrent un bilan beaucoup plus lourd, enfoui sous le silence d’État.
Quatre-vingts ans plus tard, les zones d’ombre demeurent, exacerbant une douleur transmise de génération en génération. Ce massacre est un crime colonial, le symbole d’une déshumanisation systémique. Comment peut-on en venir à tuer ceux qui ont risqué leur vie pour défendre une patrie qui n’était même pas la leur ?
Aujourd’hui, inscrire cet évènement dans la mémoire collective est un devoir moral. Il ne s’agit pas de raviver des rancunes, mais de rendre justice à des hommes dont les voix ont été étouffées. En honorant leur mémoire, le Sénégal et la France peuvent poser un acte de réconciliation sincère, qui passe par la vérité.
Reconnaître Thiaroye, c’est aussi rappeler l’humanité des tirailleurs africains, des héros dont l’histoire fut trop longtemps reléguée à l’oubli. C’est une opportunité de réinterroger la relation complexe entre l’Europe et ses anciennes colonies.
Thiaroye nous pousse à réfléchir sur la valeur de la vie humaine et sur les mécanismes de domination qui déshumanisent. Que signifie être citoyen d’un empire ? Jusqu’où peut aller l’injustice dans un système colonial ? Ces questions persistent encore aujourd’hui, à l’heure où les récits sur les indépendances et les luttes pour la dignité continuent d’émerger.
Se souvenir de Thiaroye, c’est refuser l’oubli. C’est choisir de raconter l’histoire autrement, pour que les sacrifices de ces hommes ne soient pas vains. C’est, enfin, une invitation à reconnaître l’humanité de tous, sans distinction de couleur ou de statut.
En ces temps où l’histoire se heurte encore aux résistances de l’oubli, le massacre de Thiaroye nous appelle, à commémorer, mais aussi à construire un avenir fondé sur la justice et la dignité.
AMO KOUGNIGBAN