
Le 29 août 2024, le Tchad a fait un pas audacieux dans sa quête d’indépendance en annonçant la rupture de ses accords de défense avec la France. Cela marque la fin de 66 ans de coopération militaire, une relation qui, bien qu’initialement présentée comme un partenariat, a souvent ressemblé à une forme de tutelle imposée par la puissance coloniale. Le communiqué officiel du gouvernement tchadien affirme haut et fort : « Il est temps pour le Tchad d’affirmer sa souveraineté pleine et entière ». Ces mots, empreints de dignité, résonnent comme un appel à l’émancipation, un cri de liberté dans un monde post-colonial où les anciens colonisateurs ont souvent laissé des empreintes indélébiles.
Cette décision tchadienne vient s’inscrire dans un mouvement plus large qui traverse l’Afrique francophone. Depuis quelques années, plusieurs pays du continent ont pris des mesures similaires, choisissant de se libérer de l’influence militaire et politique de la France, qui, bien que sous de nouveaux visages, continue d’exercer un pouvoir à la fois discret et décisif sur leurs affaires intérieures. Le Mali, le Burkina Faso, le Niger… Autant de nations qui ont décidé de reconfigurer leurs relations avec leurs anciens colonisateurs, cherchant une nouvelle voie vers une véritable souveraineté. Une souveraineté qui ne se limite pas seulement à l’autonomie politique, mais qui englobe aussi une indépendance économique et militaire, une rupture avec les chaînes invisibles mais puissantes de la néocolonisation.
Mais au-delà de l’aspect symbolique de cette rupture, une question demeure : cette décision tchadienne est-elle réellement le fruit d’une volonté d’émancipation authentique, ou n’est-ce qu’un coup de communication, une manœuvre politique pour redorer l’image d’un pouvoir fragilisé par son passé ? Le Tchad n’a-t-il pas, en effet, de longues années durant, servi de tremplin aux intérêts français en Afrique centrale, notamment en ce qui concerne la guerre contre le terrorisme dans la région du Sahel ? L’ombre de l’ancien président Idriss Déby Itno, qui avait su maintenir des relations étroites avec Paris, plane encore sur cette décision. En effet, la France avait activement soutenu son régime, notamment en légitimant son fils, Mahamat Idriss Déby, après la mort de son père. Ce soutien n’était pas seulement militaire, mais aussi politique, au nom de la stabilité régionale et de la lutte contre le terrorisme.
Dès lors, il devient légitime de se demander si cette rupture est le signe d’une véritable prise de pouvoir par le peuple tchadien, ou si elle ne cache pas des intérêts plus complexes, où la souveraineté est encore une notion à redéfinir. Le Tchad est-il vraiment prêt à assumer les conséquences d’une indépendance totale, sans le parapluie de l’ancienne puissance coloniale ? Et surtout, ce geste est-il accompagné d’une réelle volonté de transformer les structures internes du pays, pour en faire une nation véritablement indépendante, économiquement autonome et politiquement souveraine ?
L’Afrique francophone semble aujourd’hui se redresser, affirmant son droit à choisir ses alliances et à définir son avenir sans tutelle extérieure. Cependant, il reste à voir si cette émancipation sera une quête sincère et durable, ou si elle ne sera qu’un simple changement de façade, où l’on troque un maître pour un autre. Le défi pour ces nations est désormais de renforcer leurs institutions, de bâtir des économies robustes et de réinventer des relations internationales basées sur le respect mutuel et non sur la dépendance.
L’histoire de l’Afrique continue d’être écrite sous nos yeux. Et peut-être, avec des gestes comme celui du Tchad, nous assistons à l’aube d’un renouveau, où les peuples africains se libèrent enfin des derniers vestiges de la colonisation. Mais pour que ce chapitre soit véritablement tourné, il faudra que ces nations, tout en affirmant leur souveraineté, agissent avec sincérité et cohérence. Il ne suffira pas de rompre avec le passé ; il faudra aussi bâtir un futur fondé sur une vision commune et une solidarité authentique.
AMO KOUGNIGBAN