Le 1er décembre 2024, la ville de N’zérékoré, située dans le sud-est de la Guinée, a été secouée par un drame tragique lors de la finale d’un tournoi de football entre l’équipe de Labé et celle de N’zérékoré. Suite à un penalty controversé accordé à l’équipe visiteuse, la situation a dégénéré en émeute. Des milliers de supporters en colère ont envahi le terrain et se sont violemment affrontés avec les forces de sécurité. Dans la confusion, plusieurs personnes ont été piétinées, et de nombreuses autres ont été blessées. Le bilan est tragique, avec au moins 56 morts et de nombreux blessés. Cette nouvelle tragédie rappelle inévitablement les événements du 28 septembre 2009, où une manifestation politique avait tourné au massacre avec plusieurs dizaines de morts dans le stade. Ce drame à N’zérékoré se superpose à une longue liste d’événements malheureux qui défigurent l’histoire de la Guinée.
Le drame de N’zérékoré, qui a coûté la vie à des dizaines de personnes, s’inscrit tragiquement dans une lignée d’événements qui symbolisent l’impasse politique guinéenne. Il évoque inévitablement le 28 septembre 2009, lorsque des milliers de Guinéens s’étaient rassemblés dans un stade pour exprimer leur refus face à la tentative de Dadis Camara de se maintenir au pouvoir. Ce jour-là, la répression brutale avait marqué durablement les mémoires, tout comme aujourd’hui, où le sang de supporters innocents vient à nouveau tacher l’histoire de ce pays.
La Guinée est un pays à la trajectoire paradoxale. Riche en ressources naturelles, notamment en bauxite, dont elle est l’un des plus grands exportateurs mondiaux, elle reste néanmoins parmi les nations les moins développées. Cette richesse, qui aurait dû être un tremplin pour son développement, est devenue une malédiction sous l’effet de dirigeants sans vision réelle pour le peuple.
Lorsque le Général Mamady Doumbouya a pris le pouvoir par un coup d’État en septembre 2021, il s’est présenté comme l’homme de la rupture. Promettant une transition et le retour à l’ordre constitutionnel, il a su susciter un espoir parmi les populations lassées par le régime autoritaire d’Alpha Condé. Mais cet espoir s’effrite jour après jour, face à des manœuvres politiques qui trahissent une ambition de conserver le pouvoir.
L’organisation des tournois de football, tels que la coupe « Général Mamady Doumbouya », s’inscrit dans une stratégie populiste visant à distraire et mobiliser la population. Derrière la façade d’une initiative sportive se cache une volonté de légitimer une probable candidature, malgré les engagements initiaux de ne pas briguer de mandat. Ce double discours rappelle cruellement les pratiques de ses prédécesseurs, transformant la Guinée en un théâtre où les mêmes acteurs jouent éternellement le même scénario de confiscation du pouvoir.
Le drame de N’zérékoré met aussi en lumière la gestion hasardeuse des crises en Guinée. L’incapacité à prévoir les risques, à encadrer les foules et à garantir la sécurité traduit un État failli, où la vie humaine semble de peu de valeur. Dans un pays marqué par des décennies d’instabilité, ces événements tragiques deviennent presque banals, au point de provoquer une désensibilisation collective.
Plus largement, la Guinée est le reflet d’un mal africain : celui des élites politiques qui préfèrent exploiter les richesses nationales pour consolider leur pouvoir personnel plutôt que de bâtir des institutions solides. Les ressources minières de la Guinée, qualifiées de « scandale écologique », auraient pu financer des infrastructures modernes, des systèmes de santé performants et une éducation de qualité. Mais elles servent principalement à enrichir une minorité, laissant le peuple dans la misère et la frustration.
La tragédie de N’zérékoré est un signal d’alarme. Elle rappelle que la Guinée est à un carrefour historique où les choix politiques d’aujourd’hui détermineront son avenir. Les Guinéens doivent refuser de devenir les spectateurs passifs de leur propre destin. Ils doivent exiger des dirigeants une gouvernance transparente, des réformes profondes et une réelle volonté de tourner la page des manipulations politiciennes.
La Guinée a le potentiel d’être une puissance économique et un modèle de stabilité en Afrique de l’Ouest. Mais pour cela, elle doit rompre avec ce triste destin qui semble la condamner à reproduire les mêmes erreurs. Le temps est venu pour les Guinéens de prendre leur destin en main et d’exiger des leaders à la hauteur de leurs aspirations.
AMO KOUGNIGBAN